SNOMED CT et la CIM : deux terminologies complémentaires
Visuel-Actualité-TIO

 

À l’heure où les décideurs publics hésitent sur les choix de vocabulaires codés standardisés à consacrer pour « intensifier l’interopérabilité des systèmes d’information de santé », un point de situation ne semble pas inutile.

 

L’un des premiers vocabulaires codés, la Classification internationale des maladies (CIM) maintenue par l’Organisation mon­diale de la santé sous-tend à l’échelle pla­nétaire l’analyse statistique des causes de mortalité et de morbidité et, étendue loca­lement, classe les venues en établissements de soins de nombreux pays. À côté de la CIM, l’OMS promeut d’autres classifica­tions statistiques comme la Classification Internationale des soins primaires (Cisp) de l’Organisation mondiale des médecins de famille (Wonca). Au fil des décennies, un éventail de classifications statistiques standardisées s’est mis en place pour satisfaire les besoins du secteur sanitaire : agrégation et analyse de données, traduc­tion économique, surveillance de la santé des populations, orientation des dépenses.

 

Outre ces terminologies à visée agrégative, les professionnels ont très tôt exprimé le besoin de terminologies à visée descriptive pour consigner précisément dans leurs dossiers leurs observations et actions sous une forme structurée autorisant l’échange interapplications et les inférences sur ces données. Les anatomopathologistes furent parmi les premiers à élaborer de telles ter­minologies, dès 1965 en Amérique du Nord avec la nomenclature systématisée d’ana­tomopathologie (Snop) ou plus tard dans les années 90 en France avec le thésaurus Adicap. À partir de 1986, les médecins généralistes du Royaume-Uni disposaient pour coder leurs actes et observations du système « Read Codes », par la suite trans­féré au National Health Service (NHS) en 1999 sous le nom « Clinical Terms ». En 1994 naissait aux États-Unis la nomen­clature d’observations diagnostiques et cliniques LOINC (Logical Observation Iden­tifiers Names and Codes), depuis largement adoptée pour la diffusion électronique des résultats de laboratoire. En 2002 sortait la première version de la terminologie clinique de référence SNOMED CT fusion­nant la version antérieure SNOMED RT avec les « Clinical Terms » du NHS britan­nique. Cette terminologie a depuis lors évolué à un rythme soutenu pour atteindre aujourd’hui une couverture sans équivalent du champ sémantique de la santé : symp­tômes, maladies, observations, procédures, produits de santé, thérapies, facteurs sociaux, agents pathogènes, dispositifs, événements, scores…

 

L’offre de vocabulaires codés standardisés pour le secteur se répartit en deux grandes catégories :

 

Les terminologies d’agrégation dont la CIM est l’exemple emblématique ;

Les terminologies de référence à visée descriptive, comme LOINC ou SNOMED CT, et des ontologies spéciali­sées telles que « The Human Phenotype Ontology » (HPO), « Online Mendelian Inheritance in Man » (Omim) ou encore le code Orpha pour les maladies rares.

 

Subventions pour LOINC, Orphanet et Omim, cotisations des États membres pour la CIM et SNOMED CT, le finance­ment de la maintenance et de la diffu­sion des vocabulaires codés standardi­sés varie, mais reste un facteur clé pour garantir la pérennité et la qualité de ces objets.

 

Terminologies d’agrégation et termino­logies de référence adressent des familles de cas d’usage relativement disjointes : regroupement des données des popula­tions pour l’analyse et le traitement statis­tique pour les premières, enregistrement et échange de données de santé indi­viduelles précises pour accroître la coopé­ration entre acteurs de santé pour les secondes.

 

Les exigences qui sous-tendent ces deux familles de cas d’usage sont elles aussi assez distinctes, quand elles ne s’opposent pas. Celles qui s’imposent aux terminolo­gies de référence ont été recensées en 1998 dans un article universitaire – « Desiderata for controlled medical vocabularies in the twenty-first century » (James J. Cimino) – qui a fait date et sur lequel s’est appuyée la conception de SNOMED CT. Parmi les 12 exigences énoncées dans cet article, figu­rent notamment les quatre suivantes :

 

Richesse du contenu : offrir le concept codé qui convient au degré de finesse attendu ;

Évolution rapide : intégrer les der­nières avancées de la connaissance médicale (SNOMED CT publie deux versions par an et prépare un système de version continue) ;

Polyhiérarchie : disposer de plusieurs chemins pour atteindre un concept codé ;

Catégories fourre-tout interdites : pas de concept « autres maladies non classées ailleurs ».

 

Ces quatre exigences spécifiques non seulement ne s’appliquent pas aux ter­minologies d’agrégation telles que la CIM, mais doivent même être inversées :

Limitation du contenu : offrir des catégories partitionnant l’univers en classes exclusives, d’un niveau de granularité reflétant une fréquence d’apparition signific ative ;

 

Grande stabilité : pour soutenir des statistiques comparables sur des décen­nies, les catégories doivent être très stables et leurs mises à jour espacées (tous les cinq ans pour la CIM-11) ;

• s convallis, at ornare tortor pharetra. Ut condimentum m.

Monohiérarchie stricte : garantir que tout cas observé soit comptabilisé au plus une fois ;

Catégories fourre-tout obligatoires : garantir que tout cas observé soit comp­tabilisé au moins une fois.

 

La version 11 de la CIM, adoptable par les pays à partir de 2022, se conforme comme les versions précédentes aux quatre exigences énoncées ci-dessus. De plus, cette nouvelle version est générée par linéarisation à partir d’une fondation (the Foundation Component) exploitable en tant que telle et qui partage avec les terminologies de référence un certain nombre d’autres exigences : définition formelle des concepts codés, polyhiérarchie, identifiants non signifiants. Cependant, cette fondation reste conçue pour servir les cas d’usage de la CIM. Il s’ensuit que :

 

• Son contenu reste limité et centré sur des catégories : 55 000 concepts qui ne visent pas la précision qu’offre SNOMED CT avec ses plus de 350 000 concepts

Ce contenu est stable, et donc les mises à jour espacées ;

La polyhiérarchie introduite dans cette fondation est gérée manuellement et limitée aux besoins d’enrichir les statis­tiques (par organe affecté versus par processus pathologique). Cette particu­larité représente une énorme différence avec SNOMED CT dont les liens polyhié­rarchiques sont systématiques et auto­matisés par un « classifier ». Les figures ci-dessous illustrent à partir de l’exemple du syndrome hépatorénal cette diffé­rence d’approche entre SNOMED CT et la fondation de la CIM-11. Comme on peut le constater, le concept CIM-11, bien que détenant un attribut « Body site = Kidney structure », ne possède pas de concept parent « Acute renal failure syndrome » et n’est par conséquent pas rattaché à la hiérarchie des affections rénales. Un dossier patient associé à ce concept risque d’échapper à une règle d’aide à la décision portant sur les syndromes rénaux aigus, et aussi de ne pas être retenu dans une cohorte d’affections rénales. En revanche, exploi­table par les statistiques de causes de morbidité, ce concept est conforme à la finalité première de la CIM.

 

Le cadre d’interopérabilité national exploite encore à ce jour la SNOMED 3.5 – obsolète depuis 1998 – pour peupler les jeux de valeurs de ses modèles de contenus tels que le Volet de synthèse médicale ou la Lettre de liaison, obérant de fait l’interopé­rabilité sémantique sur ces contenus. Il serait dommage qu’une confusion entre les usages de SNOMED CT et de la CIM-11 bride le virage numérique actuel. Un choix plus porteur serait de préparer pour 2022 la migration CIM-10 vers CIM-11 sur les cas d’usage nominaux de la CIM (statis­tiques, surveillance de la santé des popu­lations, Programme de médicalisation des SI) et de migrer dès à présent le contenu sémantique du cadre d’interopérabilité de SNOMED 3.5 vers la version en vigueur SNOMED CT. La période 2020-2022 peut aussi être mise à profit pour étendre le mapping de SNOMED CT vers la CIM-11 pour rendre les codes PMSI déductibles de façon semi-automatique des problèmes de santé consignés dans les dossiers par les cliniciens.

 

La 1ère Journée francophone SNOMED CT programmée à Paris le 27 novembre 2019 approfondira ces sujets et présentera l’avancement de la traduction française.